Le grutier
un à un il saisit les échelons meut son corps ankylosé
au sein de l’étroit ventre de sa machine descend palier après palier
le corps las les échelons un à un
que c’est long avant de toucher terre
son ombre un peu vacille au bord d’une rambarde
une fois le pied au sol il sera or-dinaire
ne pourra plus échapper
aux courriers aux frais aux actualités
dans le vide à l’intérieur de sa galerie de fer
il s’interroge
si peu de terre à contempler tant de toits immenses les cieux
de ma cabine je vois de loin très loin la terre lentement s’obscurcir les ombres
devenir géantes engloutir tous les quartiers l’azur
concentre tous les espoirs palpite bleu
entre deux paliers silhouette mouvante
tenue aux barres d’acier
s’est-il arrêté échelon parmi les échelons
les étourneaux viennent se reposer le soir sur mon bras
endormi triste branche des hommes
toute la journée je manipule avec précaution mes manettes
avec moi un bout de ville se forme
en bas des hommes crient des hommes
suent minuscules moineaux me font signe
tous les regards braqués sur ma cabine où juste
mon profil noir se découpe
mon bras fait monter descendre pivoter des barres des blocs des escaliers
ce souffle vertical trace une fulgurance sur la surface
des croisillons géniedanslalampe il connaît la mesure du vide
et la craint
les échelons un à un plus rapide
il disparaît
délaissée sa grue tourne lentement
lentement tourne
Sur les seuils
nous irons chercher au loin arrachant
les fondations de nos quotidiens entraînant avec nous
beaucoup de fureur et d’espoirs
nous irons chercher au loin
un endroit accueillant où reposer nos corps
où reposer nos cœurs
nous y avons droit certains l’ont déjà d’autres
l’exhibent même
ô chants de sirènes écoutés chaque soir sur nos seuils
à cet infime moment où plein de sommeil et fouettées
par la fraîcheur de la nuit nous entrevoyons
l’étendue sauvage de nos désirs en friche
Minéralité
là-bas l’étendue sauvage de nos désirs en friche
les fossés sont pleins de rêves, tremblements tombés du cœur, on cherche parmi les trèfles le signe qui appellera la chance, les chemins qui serpentent dans la campagne murmurent une mélodie en écho à bien des histoires portées en soi, l’été fait oublier la sueur de chaque virage, il tient par la main, nous laisse glisser sur les courbes qui nous appellent et nous exigent
et nous exigent
verticalité qui observe, infimes brindilles, herbes, épis, dans un paysage arrivé à maturité, des oies sauvages tracent des lignes fugaces, leurs cris ponctuent l’air sans l’alourdir, où est notre place sous ce ciel diaphane où tout respire à souffle bas ?
à souffle bas, nous avançons dans la forêt, inutiles les yeux, tout semble identique, mousses, pierres, troncs, sentir le nord, sans trop s’éloigner des sentiers, la forêt avale, ne recrache jamais, indifférente comme la mer, aux entrailles pareillement profondes, sur un roc en hauteur un élan nous observe, furtif roc de chair jaugeant notre degré de minéralité
jaugeant notre degré de minéralité…